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La journée d'une entrepreneuse agricole ordinaire en avril 2060


Contribution aux controverses de Bergerac Juillet 2018

Ce matin, Caroline est assise à son bureau surplombant la vallée, d’où elle peut contempler, au premier plan, le troupeau de vaches laitières, puis les champs bien ordonnés. Elle est très fière du réseau de haies qu’elle a planté pour bénéficier des auxiliaires qui y trouvent refuge. Elle est ravie, la saison s’annonce bien. Son tableau de bord le lui confirme, la température du sol est montée de 2°C depuis quelques jours, le pH est resté stable, y compris dans la parcelle la plus calcaire. L’indicateur d’activité microbienne est très élevé. La minéralisation avait démarré tôt dans la saison et le reliquat azoté en sortie d’hiver était bon dans à peu près toutes les parcelles. Grâce à son réseau d’un millier de sondes implantées, elle voit sur son écran toutes les cartes nécessaires pour prendre les décisions agronomiques optimales. Sur ce même écran géant, en fait la baie vitrée de son bureau, Caroline peut surveiller l’avancement des trois tracteurs autonomes actuellement au travail. Ainsi, elle calcule facilement, en temps réel, combien lui coûtera la location car, bien sûr, il y a longtemps qu’elle ne possède plus personnellement de matériels.

Grâce aux prévisions météo à long terme, elle a déjà pris une option de réservation pour cinq robots désherbeurs qui bineront « en troupeau » son maïs et ses betteraves.

Avec une certaine émotion, elle se rappelle quand, il y a 40 ans, elle avait repris la ferme de son père. C’était en 2020. Son père passait alors des heures sur le tracteur, souvent en tenue de cosmonaute, pour traiter !

Elle remarque un signal étrange sur une des cartes numériques. Il lui faudra, tout à l’heure, aller inspecter les parcelles au sud de son exploitation. S’agit-il d’une attaque cryptogamique ? Caroline veut en avoir le cœur net, mais elle en doute puisqu’elle utilise, depuis longtemps, des semences génétiquement optimisées, résistantes à la plupart des maladies – mieux, ces végétaux disposent d’un amidon enrichis en acides aminés. Ses clients recherchent ces blés car les consommateurs en sont friands pour leur santé. Elle pense que l’alerte est simplement due aux blés mycorhizés qui donnent cette réponse spectrale atypique… Sur place, son œil d’agronome saura bien comprendre ce qu’il se passe.

Tous ses capteurs lui permettent de surveiller en permanence le millier d’hectares, les six cents vaches laitières et les six cent truies de l’ensemble agricole qu’elle cogère en alliance avec plusieurs associés. Elle exploite en propre 300 hectares, mais il y a longtemps qu’elle les a mis en commun avec quatre autres agriculteurs. Passionnée de culture, c’est elle qui prend les décisions pour le collectif. Paul, son copain d’école, dispose quant à lui de 400 hectares. S’il participe aux travaux, il fait une confiance totale à Caroline pour prendre seule les décisions techniques. En revanche, il s’occupe intégralement de la commercialisation et des achats pour le groupe.. Il a gardé, de son précédent métier, le flair et le talent du négociateur et Caroline apprécie de ne plus avoir à s’en occuper.

Il y a vingt ans, Caroline élevait, avec son compagnon, cent vaches laitières. Plutôt que de changer la salle de traite qui était devenue vétuste, ils ont alors fait le choix de confier leur troupeau à la société laitière montée par deux agriculteurs de la commune voisine. Aujourd’hui, elle ne regrette pas ce choix, les parts qu’elle détient dans cette société lui ayant permis de diversifier son exploitation tout en bénéficiant des compétences de Pierre, responsable de l’atelier lait. Caroline valorise ainsi les cinquante hectares de pâtures de sa ferme. Elle peut aussi suivre, en temps réel, la situation du troupeau. Les bolus ingérés par les vaches indiquent la température et le pH de la panse. Grâce aux semences sexées, l’élevage produit chaque année uniquement les 120 génisses nécessaires au renouvellement ainsi que 480 animaux croisés race à viande vendus en broutards.

Caroline est tellement satisfaite du système qu’il y a dix ans, au lieu de reprendre des terres qui se libéraient à vingt kilomètres, elle a préféré avec son compagnon, qui depuis a changé de métier, investir, dans la porcherie montée par trois éleveurs, à quelques encablures de leur ferme. Cela lui permet de transformer une partie de ses céréales qui seront directement consommées par les porcs, elle qui n’y connaît rien en production porcine.

Avant d’aller faire son tour de plaine, Caroline regarde une dernière fois son dossier pour le lendemain. Une journée capitale où elle reçoit ses actionnaires pour leur présenter les résultats de l’année écoulée et ses projets pour l’année suivante. Il y a en effet longtemps qu’elle n’emprunte plus pour investir mais fait appel à l’épargne d’investisseurs tout en prenant bien soin de garder le contrôle de son entreprise. Elle détient aujourd’hui, avec son compagnon, 40% du capital et aucun actionnaire ne peut détenir plus de 5% des parts – cela figure d’ailleurs en clair dans le pacte d’actionnaires.


Heureusement, son téléphone intelligent lui rappelle qu’elle doit se presser pour ne pas arriver en retard au déjeuner prévu avec son grand ami Kevin. Il est agriculteur dans le village voisin, dans une microferme, comme il en existe des centaines dans la région. Kevin travaille beaucoup à la main sur ses 5 000 m2 conduits en permaculture extrêmement intensive. Il transforme un peu mais vend l’intégralité de sa production en direct. Leurs exploitations sont comme le jour et la nuit, mais la passion de l’agronomie et le respect du vivant les animent tous les deux et fondent leur amitié.

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