Agriculture : Les lignes de crĂȘtes du prochain ministre.
- seroniejm
- 2 sept. 2024
- 3 min de lecture

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La crise agricole du dĂ©but dâannĂ©e avait transformĂ© lâagriculture française en vĂ©ritable cocotte-minute. AprĂšs plusieurs semaines de manifs les promesses gouvernementales avaient un peu rĂ©duit la pression. Le sĂ©isme politique de juin-juillet dont les rĂ©pliques sont toujours intenses laisse planer un grand doute sur lâavenir de ces engagements et du projet avortĂ© de loi agricole. La pression risque donc de vite remonter dans la cocotte, et la feuille de route du ministre ressembler Ă chemin de crĂȘte par gros temps.
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La conjoncture rend la ligne de crĂȘte de la rentrĂ©e pĂ©rilleuse.
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AprĂšs trois annĂ©es globalement satisfaisantes, la campagne 2023/2024 sâannonce dĂ©cevante avec une rĂ©colte de cultures dâhiver mauvaise. Ce qui va attiser le spectre du soutien au revenu. Le ministre devra naviguer entre des aides dâurgence demandĂ©es par les syndicats et le risque de dĂ©crĂ©dibiliser le nouveau systĂšme dâassurance rĂ©colte (Ă peine un tiers des surfaces cultivĂ©es sont assurĂ©es).
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Plusieurs crises sanitaires sont en cours ou Ă nos portes et inquiĂštent les Ă©leveurs. Elles demandent coordination et anticipation (grippe aviaire, maladie hĂ©morragique Ă©pizootique des bovins, fiĂšvre catarrhale ovine, peste porcine africaine, rĂ©surgence de tuberculose bovine âŠ). La ligne de crĂȘte est tĂ©nue entre action publique et dĂ©ploiement de la vaccination par le secteur libĂ©ral, entre protection vaccinale des animaux et capacitĂ© Ă exporterâŠ
Le sentier sera dâautant plus Ă©troit que le feu de la crise de dĂ©but dâannĂ©e couve encore et que les syndicats sont en campagne Ă©lectorale pour les Ă©lections aux chambres dâagriculture en janvier prochain.
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Le chemin de crĂȘte risque dâĂȘtre long et accidentĂ©Â
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Plusieurs gros dossiers structurants, essentiels pour lâavenir de lâagriculture, restent sur la table du ministre, certains, comme le foncier, ont mĂȘme Ă©tĂ© glissĂ©s sous le tapis. Un passage en force est de plus en plus inconcevable. La conjoncture politique poussera certainement, enfin, Ă rĂ©duire le pĂ©rimĂštre lĂ©gislatif au strict nĂ©cessaire. Le ministre sera sans doute peu tentĂ© de proposer une nouvelle loi « fourre-tout » issue dâarbitrages de plus en plus incertains avec le parlement.
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Les domaines concernés sont nombreux, citons en quelques-uns :
Négociation commerciale, saurons-nous avancer concrÚtement sans loi Egalim de plus.
La gestion du stockage et de lâutilisation de lâeau.
Le pilotage de la réduction des produits de santé des plantes.
Le dĂ©veloppement de lâagroĂ©cologie et lâamĂ©lioration de notre systĂšme dâaccompagnement des agriculteurs (sujet tabou mais point de blocage important aujourdâhui).
La question fonciÚre qui, elle, demande nécessairement, une évolution législative.
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On peut espérer que les différentes parties prenantes, plutÎt que de réclamer systématiquement une loi pour chaque sujet, rechercheront par la coopération, les discussions à développer des accords contractuels.
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Rester sur le chemin de crĂȘte demande vision et audace
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LâinstabilitĂ©, lâimprĂ©visibilitĂ© croissante du contexte conditionnent Ă©videmment le parcours du ministre en lâentourant parfois dâun Ă©pais brouillard. Mais trois tendances lourdes sâinscrivent dans la durĂ©e et exigent de ne pas se tromper de cap ou de trajectoire.
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LâĂ©volution de la consommation est un Ă©lĂ©ment central pour les marchĂ©s et les dĂ©bouchĂ©s de lâagriculture française. Quatre macro- tendances ne doivent pas ĂȘtre occultĂ©es : une baisse globale de la consommation alimentaire (sans doute pour des raisons dĂ©mographiques), une baisse des achats en GMS et une progression de la RHD, une diminution de la consommation individuelle de viande, un nombre croissant de familles ayant un problĂšme de pouvoir dâachat alimentaire.
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La compĂ©titivitĂ© est, dans un marchĂ© ouvert, indispensable pour la pĂ©rennitĂ© dâune agriculture qui exporte un tiers de sa production. Nous avons de ce point de vue des atouts mais aussi de grosses faiblesses notamment au niveau intra-europĂ©en quâil convient dâanalyser. Cette Ă©vidence doit rester un fil rouge dans la conduite de lâaction publique.
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Notre engagement europĂ©en est une dimension essentielle de notre politique agricole. De ce point de vue la ligne dâhorizon de la neutralitĂ© carbone en 2050 nous oblige dans le choix de nos actions agricoles notamment dans le cadre du pacte vert. Enfin le futur ministre aura Ă engager la nĂ©gociation sur la prochaine rĂ©forme de la politique agricole commune dans un contexte inĂ©dit de guerre Ă nos frontiĂšres, de perspective dâadhĂ©sion de lâUkraine et de choix gĂ©ostratĂ©gique demandant sans doute un rĂ©armement agricole europĂ©en compatible avec le pacte vert.
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La feuille de route du prochain ministre de lâagriculture, ressemblera donc bien davantage Ă une ligne de crĂȘte, (peut-ĂȘtre mĂȘme parfois minĂ©e) quâĂ un parcours balisĂ©. Pour fixer un cap clair et ne pas dĂ©visser de la crĂȘte ou rester bloquer au refuge, des compĂ©tences agricoles et un capital confiance auprĂšs des leaders agricoles seront Ă©videmment bienvenues dans le temps politique nouveau qui sâouvre.
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Jean-Marie Séronie
Agroéconomiste indépendant
Membre de lâAcadĂ©mie dâagriculture