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Sortie de crise épisode 2 : De la sueur et beaucoup de salive pour … un marathon en terrain miné


 



 

A peine 10 jours après la levée des barrages agricoles sur les autoroutes, quelques manifestations agricoles reprennent. Elles sont ciblées sur certaines laiteries contestées sur le prix proposé aux producteurs pour les semaines à venir, sur des grandes surfaces accusées de proposer trop de produits importés.

 

Ces formes diffèrent des manifestations de janvier qui pour la première fois depuis très longtemps avaient concerné tous les syndicats agricoles, toutes les filières de productions du viticulteur au céréalier en passant par l’éleveur de porcs, toutes les régions … Ce mouvement a rassemblé beaucoup de jeunes agricultrices et agriculteurs, souvent non syndiqués, ayant une forte envie « d’en découdre ». Cette jeunesse active est à la fois une force pour l’avenir mais aussi un premier terrain miné tout autant pour le gouvernement que pour les responsables professionnels agricoles.

 

Un profond mal être et des revendications peu lisibles


A une semaine de l’ouverture symbolique du salon de l’agriculture, il est donc clair que la sortie de crise n’est pas encore vraiment là. Il n’est pas simple de comprendre l’origine de cette révolte dont les revendications, tellement diverses et nombreuses, ne sont pour finir pas très lisibles. Elles sont le témoin éclatant de la profondeur du mal être qu’exprime le monde agricole. C’est le second champ de mines à traverser ! Manque de considération, faiblesse des revenus, trop plein de normes, avalanche administrative, critique continue des médias et des voisins, difficultés à exercer correctement son métier, incohérence ou duplicité des pouvoirs publics qui autorisent les importations de denrées produites avec des molécules interdites en France, multiplication des taxes … N’en jetez plus la coupe est pleine, c’est en gros les griefs réels ou supposés, le message adressé à la cantonade par des agriculteurs qui tout à la fois dénient fortement la légitimité de l’Etat et en même temps lui demandent avec insistance d’apporter une vision, des solutions et une aide matérielle !

 

Que faire avec cela, quelles mesures gouvernementales permettront de retrouver une véritable sérénité ? Sans doute aucune ! et c’est là le troisième champ de mines. Plus que des mesures c’est un comportement, des manières de faire qu’il faut changer à Paris et dans chaque département, dans chaque institution de l’INRAE aux Chambres d’agriculture en passant par les DDT, les coopératives … Nous ne sommes plus à l'heure d'une substitution d’une mesure réglementaire par une autre, d’une molécule par une autre, la levée d’une interdiction ou la création d’une protection (donc d’une interdiction pour un autre) mais devons engager ou poursuivre un ensemble de transitions. Ce sont des chemins à défricher, à explorer de manière collaborative, des coalitions à construire dans un marché ouvert et de plus en plus concurrentiel. Ce sont des rencontres pour comprendre, des accords à trouver à des échelles territoriales différentes, c’est à dire à Paris comme dans chaque territoire…le tout sous l’ombrelle européenne.

 

Une confiance à reconstruire d'urgence.


Tout cela demande de la confiance alors que la révolte agricole et le comportement de l’Etat au début de la crise ont tout au contraire accentué la défiance et élargi le fossé entre l’administration et les représentants agricoles, entre les responsables nationaux et les militants cantonaux. On s’aventure alors dans le quatrième champ de mines, celui laissé par les deux semaines de blocage. Le premier ministre a d’abord tenté de contourner les syndicats agricoles nationaux en s’adressant directement et physiquement à un responsable cantonal leader d’un barrage autoroutier près de Toulouse. Ce fut un échec cuisant qui se paiera très cher et pour sans doute longtemps dans une confiance émoussée, un bras de fer entre le gouvernement et la FNSEA principalement.


Des mesures d' urgence ambigües ou contestables


Le gouvernement a décidé un maintien total de la détaxation du fuel agricole, le fameux GNR. Cela a sans doute calmé les esprits mais revient, à mon avis, à lancer sur le champ de mine une grenade dégoupillée !!! Est-ce cohérent de subventionner les carburants fossiles quand on veut décarboner l’économie ! La détaxation représente 1,4 Milliards d’euros soit les mauvaises années un dixième du résultat de la ferme France, c’est énorme et doit être manié avec précaution. Un accord avait été trouvé avec la profession agricole de transférer les crédits économisés en soutien à la transition agroécologique… plusieurs centaines de millions d’euros de soutien à l’agroécologie sont ainsi jetés aux oubliettes. Dans trois ans les Allemands seront, eux, sortis de cette détaxation. On peut alors craindre qu’un règlement européen, dans la logique de la neutralité carbone, décide d’interdire le soutien aux énergies fossiles.

 

Enfin la mise en « pause » du plan ecophyto est tellement ambiguë qu’elle suscite de nombreux phantasmes : on arrête le chemin dans la baisse des phytos accusent les écologistes tandis que certains responsables agricoles s'en réjouissent en privé ! A l’inverse on va annuler la séparation de la vente et du conseil des phytos argumentent d’autres. Le réveil sera donc sans doute douloureux et les déçus beaucoup plus nombreux que les satisfaits.

 

Trois idées pour traverser ces champs de mines sans sauter ?

 

Première idée : Sans doute utopique si près d’une élection professionnelle, mais les syndicats agricoles ont ensemble une voix à faire entendre et une responsabilité collective à porter.

 

Deuxième idée : identifier, pour négocier comment les dépasser, les « tabous et breloques » qui bloquent depuis des années nos évolutions (ce sera l’objet l’épisode 3 de ma tribune)

 

Troisième idée : L’écoute directe des agriculteurs, au plus près du terrain, est sans doute indispensable aujourd’hui, même si les démarches participatives ont perdu du crédit car leurs succès récents n’ont pas suffisamment été pris en compte au sommet de l’Etat. Au contraire, iI y a quarante ans, la gauche arrivée au pouvoir avait marqué les esprits en lançant « les Etats généraux du développement agricole », co-piloté par l’administration et la profession, à tous les niveaux, jusque dans chaque canton. Le jeune ingénieur de la DDAF que j’étais alors se souvient des heures captivantes passées, souvent en soirée, avec le conseiller agricole du secteur à animer des réunions d’agriculteurs dans des salles communales reculées pour tracer les voies d’avenir souhaitées par les agriculteurs, les ouvriers agricoles, les propriétaires ...

Loin des consultations webisées c’est donc peut-être avec un peu de temps et «  de la sueur et de la salive », j’entends par là des rencontres « live », bien structurées, bien animées (comme la commission du débat public le maîtrise) que l’indispensable confiance pourra renaître.

 

Jean-Marie Séronie

Agroéconomiste indépendant

Secrétaire de la section économie

et politiques de l’Académie d’agriculture

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