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Souveraineté alimentaire ... de quoi es-tu vraiment le nom ?

Souveraineté alimentaire … de quoi es-tu vraiment le nom ?

« (…) Sur la santé revenue

Sur le risque disparu (…)

J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté. »

Paul Eluard- 1942- extrait


« Liberté », par la mise en vers d’un seul mot, en 1942, au plus profond de la nuit, le poète affirmait un idéal retentissant et mobilisateur vers les jours meilleurs de la victoire sur l’occupant. En ces jours de confinement, il est très émouvant de relire ce magnifique poème.


« Souveraineté à reconstruire », « Décisions de rupture à prendre » ces idées lancées au début du confinement par le Président de la République sonnent comme un appel fort pour le « jour d’après ». Le Conseil National de la Résistance et son programme de rupture sont même souvent évoqués. Certes nous traversons aujourd’hui des jours moins dramatiques, mais ce printemps est chargé d’une adversité, d’une angoisse sur le présent, d’une incertitude sur l’avenir que la plupart d’entre nous, nés après la guerre, n’avions jamais imaginé vivre un jour.


Sanitaire, alimentaire, industrielle, technologique, énergétique, déclinée sur tous les modes, l’idée de souveraineté réveille beaucoup d’espoirs, d’ambitions …et d’appétits. Les écologistes y voient un virage vers un futur beaucoup plus naturel, les technicistes une priorité absolue redonnée au développement de la production, pour les altermondialistes ce sera un recul de la mondialisation, pour les nationalistes un recentrage hexagonal, pour d’autres au contraire une étape supplémentaire dans l’intégration européenne, pour beaucoup un virage vers davantage de proximité. Chacun y loge en fait une partie des rêves, des croyances ou des convictions, souvent déçus, qu’il porte en lui depuis longtemps.


La souveraineté n’est donc pas une idée automatiquement rassembleuse même en période de crise. Les mois à venir seront sans doute très forts en débats et tensions sur fonds de difficultés économiques, de perte d’emplois, de baisse du pouvoir d’achat mais aussi de disparités, d’inégalités renforcées à tous les niveaux de notre société comme de nos territoires.


Le monde agricole voit la souveraineté alimentaire comme un virage politique porteur d’avenir. En son nom les céréaliers demandent, par solidarité mondiale, une réelle politique exportatrice, les éleveurs bovins ou les producteurs de fruits et légumes un recentrage sur la production locale et un frein aux importations, les viticulteurs militent pour une sécurisation de leurs courants commerciaux d’exportation. Les responsables agricoles y trouvent un argument déterminant pour une PAC renforcée assortie d’un budget revu à la hausse. Ils œuvrent pour que la crainte de pénuries hisse l’agriculture au rang de priorité nationale de premier plan. Beaucoup d’agriculteurs se félicitent d’une reconnaissance enfin retrouvée, y voient une forme de pouvoir reconquis. Ils espèrent en recevoir beaucoup et surtout une meilleure rémunération !


Et l’agroéconomiste indépendant, quel est son regard ?


Non, nous n’avons pas délégué à d’autres notre alimentation.


En France nous ne risquons pas, aujourd’hui, une pénurie alimentaire. Notre chaîne alimentaire a su s’adapter avec une agilité exceptionnelle aux transferts de lieux d’achats et de gamme de produits achetés provoqués par le confinement et la fermeture des restaurants. Le point crucial a souvent, en fait, été le transport. Le souci actuel des agriculteurs n’est pas de pallier une pénurie. Au contraire, leur problème est globalement celui des débouchés en particulier pour les produits hauts de gamme (fromages AOP, vins, morceaux nobles de viande bovine), ceux commercialisés en circuit court du fait du confinement et de la fermeture de nombreux marchés de plein vent. Les marchés d’exportations sont eux aussi bousculés, le lait est à la peine tandis que le blé bénéficie d’un vent favorable.


Oui, nous ne produisons pas tout ce que nous consommons…


Nous importons de plus en plus mais nous exportons, en valeur, largement plus que que ce que nous importons, même si cet écart diminue. Deux secteurs[1] sont emblématiques : la viande et les fruits et légumes.

Nous sommes de plus en plus déficitaires en fruits et légumes, alors que nous encourageons, depuis des années, cette consommation pour des enjeux de santé publique !

Nous importons en effet presque 50% des légumes (hors pommes de terre) et 60 % des fruits de région tempérée que nous consommons. Certaines filières ont presque totalement déserté notre territoire principalement pour des raisons de compétitivité, de coûts salariaux en particulier. Corriger cette situation demandera beaucoup d’énergies et d’investissements. Il faudra agir à la fois sur le consentement à payer un peu plus des consommateurs, différencier davantage certains produits, baisser le cout du travail mais aussi que les agriculteurs gagnent en productivité dans leurs exploitations.


Oui … mais nous ne consommons pas tout ce que nous produisons !


Nous importons presque le quart de la viande bovine que nous mangeons (à 50% du haché). Paradoxalement nous exportons aussi beaucoup de jeunes mâles vivants qui, s’ils étaient engraissés en France, produiraient davantage de viande que celle que nous importons et de plus nous exportons de la viande bovine. De même, nous importons un quart de la viande de porc que nous mangeons alors que notre production porcine est supérieure de 15 % à notre consommation et que nous exportons presqu’un cochon sur trois. En valeur nous sommes, pourtant, largement déficitaires car nous exportons de la viande brute mais importons beaucoup de produits (« premier prix ») transformés.


En volailles, notre consommation globale n’est que de 5% supérieure à notre production, pour autant nous importons plus de 40% des poulets et nous exportons. Notre consommation n’est donc pas complétement en phase avec notre production (ou l’inverse !) pour deux raisons essentielles.

- Une question d’équilibre des produits. Nous consommons plus de steaks hachés et moins de beaux morceaux, peu de viande issue des bovins mâles, moins de poulets entiers et davantage de découpe ce qui pénalise les poulets labels…

- Une question de coût de revient. Nous importons principalement les produits les moins chers (viande hachée fraiche ou congelée, découpe de volailles…), souvent pour la restauration collective.


C’est piquant à dire, mais dans le secteur des viandes, si nous le voulons et si nous l’organisons autrement, nous avons en réalité tous les éléments de l’autosuffisance à portée de main.


Oui, nous sommes un grand pays exportateur.


Nous sommes de grands exportateurs de semences, de vins et spiritueux, de céréales (50% de la production) et de produits laitiers (40% de la production), de sucre. La gastronomie française est mondialement plébiscitée, exporter nos produits contribue donc à notre rayonnement. Mais surtout à un moment où l’ONU alerte sur le risque de famine, exporter des céréales, des fromages et de la poudre de lait est une contribution importante à la sécurité alimentaire mondiale. Ces exportations sont importantes d’un point de vue géopolitique.


Non, notre agriculture n’est pas autonome.


Nous importons énormément de composants nécessaires à la production agricole : les carburants, la majeure partie des engrais, une part importante des matières actives composant les produits phytosanitaires, beaucoup de machines agricoles ou d’éléments qui les composent. A l’heure des chaînes de valeur mondialisées, c’est un point de fragilité, des ruptures d’approvisionnement ou des surenchères de prix étant possibles. Si la souveraineté alimentaire devient un enjeu majeur il faudra construire des plans de continuité par filière. Peut-être faudra-t-il, pour les engrais azotés, des réserves stratégiques et des contrats long terme comme pour le pétrole ou le gaz. Mais il s’agit là d’une politique industrielle davantage que d’une politique agricole.


Nous sommes également très dépendants de l’étranger pour l’alimentation des animaux en protéines (soja). Il conviendrait d’organiser l’autonomie fourragère des élevages, en particulier par une meilleure valorisation des prairies, mais aussi de développer de manière rentable la production de protéines végétales (lupins, luzerne, soja, pois, féverole…) par les cultivateurs. C’est là un vrai défi agricole.


Notre agriculture dépend enfin de plusieurs facteurs sol, eau, travail. Le foncier est un bien limité. La concurrence est forte avec la forêt et l’artificialisation des sols qui progressent. Notre potentiel agricole doit être sanctuarisé. La question du stockage de l’eau devient capitale avec l’augmentation de la température et le changement du régime des pluies. Enfin l’actualité récente nous a montré que l’agriculture était dépendante de l’étranger pour le travail saisonnier. Ce sont trois points pour lesquels la vision de la société doit changer rapidement pour que la politique publique puisse évoluer.


Alors souveraineté alimentaire de quoi es- tu le nom ?


Nous n’allons pas inventer les phosphates que nous n’avons pas dans notre sous-sol ! Nous ne serons donc jamais autonomes. A l’idée de souveraineté, d’autonomie, d’autosuffisance, préférons l’idée de sécurité alimentaire. En plus ce concept ne présente pas d’ambiguïté d’arrière-pensée de fermeture, de repli sur soi mais ouvre plutôt sur l’anticipation, l’organisation.


Si la sécurité alimentaire devient réellement un enjeu stratégique majeur, nous pourrions le synthétiser autour de quatre politiques à mener simultanément :


Une politique consumériste pour construire une acceptation à payer davantage sous certaines conditions car nous importons surtout des produits peu chers. Mais aussi pour modifier les habitudes alimentaires pour davantage consommer en fonction de nos productions : respecter la saisonnalité mais aussi manger davantage de viande bovine mâle par exemple. Cela sonne le glas de la stratégie mono centrée sur la montée en gamme.


Une politique industrielle pour sécuriser l’approvisionnement des agriculteurs en intrants et matériels.


Une politique agricole sur trois axes qui peuvent bouleverser les priorités budgétaires :

  • Développer la production de fruits et légumes

  • Développer les protéines pour l’alimentation animale

  • Augmenter l’efficacité des exploitations et donc diminuer leur dépendance aux intrants ce qui est également vertueux pour l’environnement

Une politique générale pour sanctuariser le foncier agricole, stocker de l’eau et baisser le coût du travail !


Articuler les échelles de territoire pertinentes (du canton à l’Europe) pour organiser efficacement cette sécurité alimentaire.


La souveraineté ou plutôt la sécurité alimentaire sera donc très exigeante pour tous consommateurs, industriels, politiques et surtout agriculteurs. Vous aviez dit prendre des décisions de rupture ?


Jean-Marie SERONIE

Agroéconomiste indépendant


agroeconomie.com





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